Coalition pour les droits des femmes en situation de conflits

A propos de la Coalition : un bref historique

La Coalition pour les droits des femmes en situation de conflits a vu le jour en 1996 à la suite de l'initiative concertée de plusieurs ONG de défense des droits basées au Canada, en Europe et aux États-Unis, qui ont adressé une lettre au Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR). Ce dernier n'ayant pas, à leurs yeux, su intégrer la question des sexospécificités dans ses travaux, il fallait apporter des correctifs sur plusieurs plans pour que cette cour de justice puisse juger les crimes perpétrés contre les femmes rwandaises en 1994. Cette lettre, adressée au Procureur en chef du TPIR, a permis la formation d'un premier noyau d'une soixantaine d'organismes de toutes les régions du monde désireux de partager leur expertise en vue d'exercer des pressions sur les décideurs.

C'est un ensemble de facteurs d'ordre national, régional et international qui a incité les membres de la Coalition à centrer au départ leurs efforts sur le traitement des crimes de violence sexuelle par le TPIR. Voici comment l'explique Ariane Brunet, coordonnatrice des droits des femmes à Droits et Démocratie et fondatrice de la Coalition :

« En 1993, l'opinion publique mondiale a appris l'existence de viols de masse, de viols systématiques et de grossesses forcées. C'est cette année-là que les médias se sont mis à en parler, parce qu'il existait suffisamment de preuves pour les forcer à le faire. Divers organes et institutions des Nations Unies avaient publié plus d'une vingtaine de documents et rapports sur le sujet, notamment le Conseil de sécurité, la Commission des droits de l'homme et la Commission de la condition de la femme. Ces documents traitaient en tout ou en partie des viols perpétrés sur le territoire de l'ex-Yougoslavie. C'est aussi cette année-là que pour la première fois, l'ONU dépêcha une équipe d'experts pour enquêter sur des allégations de viols dans un pays. Cela se passait en janvier 1993. Les États réagirent promptement et octroyèrent des fonds pour aider les femmes victimes de cette violation des droits fondamentaux qu'aucun tribunal international n'avait encore reconnue comme un crime contre l'humanité, un crime de guerre et une forme de torture.

En mai de la même année était créé le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie. L'article 5 de son statut classe le viol au rang des crimes contre l'humanité. C'est pourquoi de nombreuses universitaires, féministes et chercheures se sont mises à réfléchir sur la question des crimes sexistes et de la violence sexuelle en cherchant à dégager ce qui, dans le Statut du TPIY, permettait à celui-ci de traiter adéquatement des multiples formes que peuvent prendre les violations des droits des femmes perpétrées au cours d'un conflit armé. S'est alors formé un réseau de militantes, d'ONG et de groupes de femmes du monde entier pour discuter des mesures à mettre en œuvre pour alléger les souffrances des victimes. Elles ont en outre cherché à savoir comment ces femmes pourraient un jour recouvrer leur estime de soi et être ainsi en mesure de continuer à apporter leur contribution à leur société. Et le principal moyen pour atteindre cet objectif était de faire en sorte qu'elles obtiennent justice.

En décembre 1994 s'est mis à circuler un rapport de quelques pages faisant état de viols systématiques, de viols collectifs, de mutilations sexuelles, d'esclavage sexuel et de grossesses forcées perpétrés durant le génocide rwandais. Selon Catherine Bonnet, une femme médecin de nationalité française, le viol avait été utilisé au Rwanda comme un instrument de génocide. Ce document passa pratiquement inaperçu et rien ne fut fait. Il n'y eut ni couverture médiatique, ni rapport de l'ONU, ni réaction indignée de la communauté internationale. En novembre 1994, le Conseil de sécurité de l'ONU a créé le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) aux termes de sa résolution 955 (1994). Les articles 3 et 4 du Statut du TPIR autorisent la poursuite à prendre en compte les violences sexuelles et à reconnaître, le cas échéant, le viol, l'esclavage sexuel, les grossesses forcées, la prostitution forcée, les mutilations sexuelles comme des crimes contre l'humanité, des crimes de génocide, des crimes de guerre et de la torture. Les médias alertèrent l'opinion internationale, les ONG et les chercheurs qui avaient déjà travaillé sur ces questions dans le cadre du conflit survenu en ex-Yougoslavie intervinrent pour que les crimes contre les femmes ne soient pas oubliés. Pourtant, en 1994 et durant l'année suivante, les femmes rwandaises se retrouvèrent seules pour réclamer que les responsables répondent de leurs actes et lutter pour obtenir justice.

Pourquoi la communauté internationale a-t-elle accordé plus d'attention à ce qui s'est passé en ex-Yougoslavie? Peut-on attribuer ce phénomène à la supériorité des moyens et ressources des militantes et ONG de défense des droits des femmes, des groupes de défense des droits humains et des chercheures? Cette hypothèse ne tient pas dans la mesure où les femmes rwandaises, les groupes de femmes et les chercheures ont depuis démontré qu'on pouvait mobiliser les énergies en faveur du Rwanda. Quant à l'attention des médias, il a fallu que Human Rights Watch et la FIDH publient leur rapport Shattered Lives : Sexual Violence during the Rwandan Genocide and its Aftermath pour que la presse écrite se mette à parler des crimes perpétrés contre les femmes. Si les choses ont pris autant de temps, c'est parce qu'il s'agissait du Rwanda et que la communauté internationale ne s'est préoccupée du génocide de 1994 qu'après coup. Réduites à des atteintes à l'honneur et à des traitements humiliants et dégradants, les violations des droits fondamentaux des femmes au cours des conflits armés ont au cours de l'histoire été passées sous silence et la gravité de ces crimes n'a jamais été reconnue.

Au cours de l'hiver 1996, Pro-femmes, un réseau regroupant quelque 35 organismes de femmes rwandaises, s'est vu attribuer un prix de l'UNICEF pour ses activités en faveur de la paix.

La même année, Droits et Démocratie mettait un projet sur pied afin de suivre les mesures prises par le TPIR pour juger les crimes perpétrés contre les femmes, et de soutenir plus largement les efforts déployés par les organisations de femmes rwandaises pour que les victimes de génocide obtiennent justice.

Il est rare que les tribunaux internationaux et nationaux chargés de juger les criminels de guerre tiennent compte des viols et des violences à caractère sexuel. Il fallait éviter que les violations des droits fondamentaux des femmes rwandaises subissent le même sort. Droits et Démocratie a donc jugé important de suivre les travaux du TPIR, et ce, pour plusieurs raisons : a) les Rwandais, hommes et femmes, n'avaient guère confiance dans le TPIR, le considérant comme un exercice coûteux parachuté de l'étranger pour redorer l'image des Nations Unies; b) les ONG de femmes rwandaises avaient besoin d'informations et de coopération en matière de justice internationale et de réadaptation; c) une certaine forme de concertation et de coopération entre les femmes rwandaises et la communauté internationale s'avérait nécessaire.

C'est le peu d'attention accordée par le TPIR aux crimes dirigés contre les femmes qui a conduit à la création de la Coalition pour les droits des femmes en situations de conflit. Rien ou presque n'avait été fait pour assurer la protection des droits et des intérêts des femmes concernées et des témoins potentiels au TPIR. La Coalition se donnait pour tâche de surveiller les travaux du tribunal et de réagir à tout événement en rapport avec les crimes commis contre les femmes.

Des organismes de premier plan ont participé à ce travail de suivi. Pro-femmes, au Rwanda, a adhéré à la Coalition et accepté de relayer l'information fournie par les femmes rwandaises. Human Rights Watch, qui avait joué un rôle-clé en soulevant la question des crimes sexistes perpétrés au Rwanda, a également décidé d'en faire partie. Le Center for Constitutional Rights (CCR), un organisme d'éducation à but non lucratif qui s'emploie à promouvoir et protéger les droits garantis par la constitution des États-Unis et la Déclaration universelle des droits de l'homme, a accepté d'agir à titre de conseiller juridique, tout comme la International Women's Human Rights Law Clinic (IWHR), un projet de la Faculté de droit de l'Université de New York, qui cherche à intégrer la question des sexospécificités dans les droits humains et à faire en sorte que les auteurs de violations soient traduits en justice. Depuis 1992, l'IWHR et le CCR ont joué un rôle déterminant sur le plan théorique et en matière d'interventions stratégiques pour que les tribunaux internationaux pour l'ex-Yougoslavie et le Rwanda jugent les crimes de violence sexuelle. Le Working Group on Engendering the Rwandan Tribunal, groupe de travail basé à l'Université de Toronto, a lui aussi apporté une précieuse contribution, ses membres encourageant les étudiants en droit à faire de la recherche sur le TPIR. Il a en outre affecté des ressources à des projets de recherche à long terme et à la production plus immédiate de documents destinés à promouvoir les positions et interventions de la Coalition auprès du TPIR. D'autres organismes ont adhéré à la Coalition au cours des années suivantes, notamment la section kenyane de la Fédération internationale des femmes juristes (FIDA), des ONG locales de défense des droits des femmes basées à Kigali, ainsi que des femmes et des spécialistes désireuses d'élaborer des stratégies pour inciter le TPIR à juger les auteurs de crimes de nature sexiste. Depuis le début, c'est le programme Droits des femmes de Droits et Démocratie qui coordonne les activités de la Coalition. »

Les mécanismes mis en place doivent habiliter les femmes et les filles, ou les personnes agissant dans le meilleur intérêt des filles, à déterminer elles-mêmes la forme de réparation la mieux adaptée à leur situation. Ces mécanismes doivent en outre avoir préséance sur les éléments des lois et pratiques coutumières et religieuses qui empêchent les femmes et les filles de décider de leur propre sort et d’agir en conséquence.

-- Extrait de la
Déclaration de Nairobi