

Objet : Accusations portes par la Cour pnale internationale en rapport avec les crimes de violence sexuelle en Rpublique dmocratique du Congo
Monsieur le Procureur,
Au nom de la Coalition pour les droits des femmes en situations de conflit, je voudrais attirer votre attention sur les violences à caractère sexuel perpétrées en République démocratique du Congo (RDC) depuis le 1 er juillet 2002 et inviter votre Bureau à en tenir compte lors des examens préliminaires et des premières mises en accusation. Il est à notre avis essentiel d'inclure au départ ce type de chefs d'accusations si l'on veut mettre un terme à l'impunité dont jouissent les auteurs de violations du droit international humanitaire et faire en sorte que les victimes de crimes de violence sexuelle en RDC obtiennent justice. En outre, l'inclusion de ce type de chefs d'accusation s'avère nécessaire si l'on veut que la CPI reprenne à son compte les avancées fondamentales réalisées par les tribunaux ad hoc et remplisse une des fonctions majeures prévues par les artisans du Statut de Rome.
Créée en 1996, la Coalition pour les droits des femmes en situation de conflits (la Coalition) s'emploie à dénoncer les atteintes aux droits des femmes dans les situations de conflit armé, à condamner les viols et les autres traitements inhumains perpétrés délibérément contre les femmes en tant qu'armes de guerre, et à faire en sorte, le cas échéant, que ces actes soient poursuivis en tant que crimes de guerre, crimes contre l'humanité et crimes de génocide. La Coalition s'est donné pour tâche principale de veiller à ce que les auteurs de crimes contre les femmes soient dûment poursuivis par les organes de justice transitoire en Afrique, de manière à établir une jurisprudence qui reconnaît la violence exercée contre les femmes dans les situations de conflit armé et à faire en sorte que les survivantes de violence à caractère sexuel obtiennent justice.
Nous savons que depuis 2001, des violences sexuelles sont perpétrées massivement en République démocratique du Congo. Nous tenons à ce propos à vous féliciter pour votre décision d'ouvrir une enquête sur la situation en RDC et à vous assurer de notre appui dans cette démarche.
Depuis 2001, Human Rights Watch, la Fédération internationale des droits de l'homme, Amnistie Internationale et des ONG congolaises ont publié une multitude de rapports qui font état de l'ampleur des violences sexuelles en RDC, en particulier dans les régions de l'Ituri, du Kivu, de Maniema et de la province orientale. Nous avons étudié ces rapports pour dégager les principales caractéristiques des crimes de violence sexuelle perpétrés depuis le 1 er juillet 2002. Vous trouverez ci-joint un résumé de nos constats.
Outre les rapports des ONG, vous avez certainement pris connaissance des rapports produits par des organisations et des institutions internationales, y compris la MONUC, sur les violations des droits de l'homme et du droit international humanitaire perpétrées en RCD. Comme vous le savez peut-être, les organismes locaux ouvrant dans les domaines des droits humains, des services médicaux et des droits des femmes continuent de documenter ces violations.
Le recours systématique aux violences sexuelles comme arme de guerre dans le nord-est et l'est de la RDC est aujourd'hui une pratique avérée et de notoriété publique. Human Rights Watch a dernièrement invité la CPI « à faire en sorte que les crimes de guerre ou les crimes contre l'humanité deviennent une priorité de son travail d'enquête et de mises en accusation (1) », une position que nous appuyons vigoureusement. Vu que la violence sexuelle est utilisée comme une arme de guerre en RDC, nous vous demandons d'inclure dans les prochains actes d'accusation les chefs de viol, d'esclavage et d'esclavage sexuel, de prostitution forcée, de grossesse forcée, de stérilisation forcée, de persécution sexiste et d'autres formes de violence sexuelle comme la torture à caractère sexuel, les mutilations sexuelles et l'assassinat par transmission délibérée du virus du VIH/SIDA.
En août 2004, la Coalition a envoyé une mission dans le nord-est de la RDC afin de rencontrer des membres d'ONG locales pour discuter du traitement des crimes contre les femmes par la justice internationale et envisager des perspectives de collaboration. Vu l'instabilité militaire et politique qui règne dans la région et la présence de milices, de groupes armés, de mouvements dissidents armés et de groupes armés étrangers dans l'est et le nord-est de la RDC, les membres du personnel des ONG locales, les victimes et les témoins ont peur des représailles. Même si ces personnes désirent ardemment que justice soit faite, elles hésitent à entrer en contact avec quiconque est associé à la CPI ou à être vues en leur compagnie, en particulier les membres de votre équipe d'enquête. L'expérience du Tribunal pénal international pour le Rwanda et celle du Tribunal spécial pour la Sierra Leone montrent à quel point il est important de lancer une campagne de sensibilisation publique, de faire bénéficier les témoins potentiels des mesures du programme de protection des témoins dès le début de l'enquête et de soutenir ces témoins avant, durant et après les procès. Vu l'insécurité qui règne en RDC et la poursuite du conflit, la protection des victimes, des témoins et du personnel des ONG qui militent pour la justice internationale est une condition essentielle à la bonne préparation et la conduite des procès.
Pour assurer un traitement des crimes de violence sexuelle qui tient compte des dimensions sexospécifiques, nous invitons les enquêteurs et les procureurs de la CPI à poursuivre leur formation à ce chapitre. Les enquêtes et les poursuites sont des étapes critiques qui nécessitent la création d'un poste de conseiller juridique de haut rang chargé de veiller à l'intégration de la dimension des rapports hommes-femmes dans toutes les activités du Bureau du Procureur. Ce poste est indispensable à la bonne conduite des enquêtes et des mises en accusation ainsi qu'au traitement approprié des témoins à toutes les étapes des procédures judiciaires.
Nous sommes conscientes des difficultés inhérentes au travail d'enquête sur les crimes internationalement proscrits et par-dessus tout sur tous les crimes à caractère sexuel perpétrés en Ituri. Nous avons l'intention de poursuivre nos efforts à ce chapitre et à faire tout ce qui est en notre pouvoir pour aider votre Bureau et la CPI à donner suite aux recommandations ci-dessus. Nous aimerions en conclusion souligner qu'en inscrivant des chefs de violences sexuelles dans le premier acte d'accusation de la Cour, votre bureau enverra un message clair à la communauté internationale et aux belligérants des conflits armés et permettra à la CPI de remplir le mandat prévu par ses artisans et par ceux qui l'appuient. Les victimes de crimes sexistes méritent justice et réparation. Il ne faut jamais oublier qu'elles ont le droit d'obtenir réparation pour les terribles épreuves qu'elles ont subies.
En attendant une réponse de votre part, nous espérons avoir l'occasion de poursuivre ce dialogue sur ces questions.
Veuillez agréer, Monsieur le Procureur, l'expression de nos sentiments respectueux.
Ariane Brunet
c.c. : Juge Claude Jorda
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1) http://hrw.org/french/reports/2005/drc0305/, p. 6.; Retour
Cour pénale internationale : République démocratique du Congo
(Site officiel)