Coalition pour les droits des femmes en situation de conflits

Lettre au procureur Hasan Jallow

Le 8 fvrier 2005

Procureur Hasan Jallow
Bureau du Procureur
Tribunal pnal international pour le Rwanda
Arusha, Tanzanie

Courriel :
Tlcopieur :

Monsieur le Procureur,

Nous avons appris avec une vive inquiétude que vous aviez décidé de retirer les chefs d'inculpation de viol à l'endroit de l'accusé Tharcisse Muvunyi, ex-commandant des opérations militaires dans les districts de Butare et Gikongoro. Nous vous invitons instamment à suspendre votre requête en ce sens et à réactiver le travail d'enquête afin de réunir les éléments de preuve nécessaires.

Comme vous le savez, la préfecture de Butare a été le théâtre de massacres et de violences sexuelles particulièrement atroces. Les groupes de femmes de la région de Butare se sont activement organisées et ont dénoncé les violences sexuelles perpétrées à leur endroit. Les organisations de droits humains et de droits des femmes comme AVEGA, Human Rights Watch et African Rights ont documenté les actes de violence sexuelle commis à Butare. L'organisation African Rights a recueillis des témoignages de viols de femmes et de filles qui mettent en cause l'accusé (1).

Le Bureau du Procureur a retenu la responsabilité du supérieur dans le cas des plus hauts responsables en fonction dans la région de Butare, y compris Pauline Nyiramasuhuko. Ce geste indique que le Bureau a conscience des crimes de violence sexuelle commis dans cette zone et du fait que ces acteurs étatiques portent la responsabilité pénale de ces actes. Selon nous, retirer les chefs d'inculpation de viol dans le dossier d'un ex-commandant militaire agissant sous les ordres de ces acteurs dans la même région, traduit une certaine incohérence par rapport à la stratégie précédente. S'il y a responsabilité du supérieur dans le cas des hauts dirigeants, il est clair qu'un chef militaire agissant sous leurs ordres et appliquant les mêmes politiques porte lui aussi le même type de responsabilité. Nous vous demandons instamment d'adopter une stratégie cohérente en ce qui touche aux accusations de viol dans les différents dossiers.

La raison déclarée motivant l'abandon de ces chefs d'inculpation est, si nous comprenons bien, le manque de preuves solides à l'appui des accusations de viol. Or, il ne s'agit pas d'un problème propre au dossier Muvunyi. Le problème, comme vous le savez parfaitement, réside dans le fait que jusqu'ici, les enquêtes sur les allégations de violences sexuelles n'ont pas été menées de manière efficace et rigoureuse.


Plutôt que retirer les chefs d'accusation de viol faute d'avoir enquêté de manière adéquate, nous vous invitons à réactiver de toute urgence votre travail d'enquête sur les actes de violences sexuelles. Avec une équipe d'enquêteurs dynamiques et dévoués, travaillant en collaboration avec les procureurs de la poursuite, vous pourriez rapidement réunir des preuves plus solides. Il suffirait d'un peu de volonté politique de votre part pour corriger la faiblesse du travail d'enquête et élaborer une stratégie de poursuite cohérente. Il n'a fallu qu'une année au Tribunal spécial pour la Sierra Leone, qui ne compte pourtant que deux enquêteurs affectés aux questions spécifiques aux femmes, pour compiler ses preuves dans tous les dossiers qu'il a instruits.

Jusqu'ici, la performance du TPIR face aux crimes de violence sexuelle n'est guère reluisante. Un examen des causes traitées montre que le Bureau du Procureur n'a pas porté d'accusations de viol dans 70 % des affaires où il y a eu jugement. Sur les 30 % de dossiers où la poursuite a retenu des accusations de viol, 20 % se sont soldés par des acquittements et seulement 10 % par des condamnations pour viol. Vu l'ampleur et la généralisation des violences sexuelles perpétrées lors du génocide - y compris les viols, viols collectifs, viols au moyen d'objets, esclavage sexuel et mutilations sexuelles - il est évident que votre bureau n'a pas déployé les efforts qui s'imposaient pour enquêter sur ces actes ou poursuivre de manière efficace et exhaustive ces crimes. Nous vous prions de ne pas perpétuer cette injustice à l'endroit des femmes rwandaises en retirant les accusations de viol à l'endroit de Muvunyi.

Nous vous demandons donc de retirer votre requête en ce sens ou de la modifier et d'affecter de toute urgence un enquêteur dynamique et dévoué qui s'emploiera à réunir les éléments de preuve que l'on peut trouver à Butare.

Je vous prie d'agréer, Monsieur le Procureur, l'expression de mes meilleurs sentiments.


Ariane Brunet
Coordonnatrice, Programme droits des femmes chez Droits et Démocratie, Montréal, Canada, au nom de la Coalition pour les droits des femmes en situations de conflit et les organisations rwandaises de droits humains et de la société civile, y compris les associations des droits des femmes suivantes :

  • Abasa (association des femmes de Butare, Rwanda)
  • Arfem
  • Association rwandaise des journalistes
  • HUGUKA
  • Pro-femmes/ Twese Hamwe
  • Réseau des femmes oeuvrant pour le développement rural
  • Rwanda Women Network
  • Sevota


c.c. : M. Bongani Majola, Procureur adjoint, TPIR, ( )
         M. Richard Renaud, Chef des Enquêtes, TPIR, ( )

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     1) African Rights, Lt. Col. Tharcisse Muvunyi : A Rwandese Genocide Commander living in Britain. Avril 2000, 109 pages. (Issue 12)  Retour


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