


Le 2 octobre 1998, le Tribunal pénal international pour le Rwanda a condamné l'ancien bourgmestre Jean-Paul Akayesu à trois peines d'emprisonnement pour génocide, crimes de guerre et crimes contre l'humanité. De plus le Tribunal l'a comdamné à 80 années d'emprisonnement pour viol et d'autres crimes y compris d'avoir encouragé la perpétration de viols et d'actes de violence sexuelle.
Avec la condamnation d'Akayesu à la prison à perpétuité, la communauté internationale commence à réparer l'injustice dont souffrent depuis longtemps les femmes victimes des conflits armés. Pour la première fois en effet, une cour internationale a puni la violence sexuelle perpétrée dans le cadre d'une guerre civile, et reconnu le viol comme un acte de génocide ainsi qu'un acte de torture.
Lors du procès, des femmes rwandaises ont témoigné qu'elles avaient été soumises à des viols collectifs à répétition par des membres des milices armées et qu'Akayesu n'avait rien fait pour mettre un terme à ces atrocités, alors qu'il en avait le pouvoir. Elles ont déclaré avoir vu d'autres femmes se faire violer et assassiner en présence d'Akayesu, et entendu celui-ci dire aux violeurs : «Ne venez plus me raconter à présent que vous ignorez quel goût peut avoir une femme Tutsi.»
Malheureusement, les témoignages des femmes rwandaises ne sont pas une exception. Dans le monde entier, le viol des femmes dans des situations de conflit est monnaie courante. Ce qui est nouveau, cette fois, c'est que la communauté internationale a traité ce crime avec la même rigueur que toute autre violation grave du droit international.
Ce n'est pas tant l'absence d'instruments juridiques qui posait problème par le passé que les préjugés sexistes en vertu desquels les crimes contre les femmes étaient considérés comme des violations mineures ou moins graves. Le viol contrevient aux Conventions de Genève de 1949, à la Convention de 1948 sur le génocide, à Convention de 1984 sur la torture, et il constitue un crime contre l'humanité en vertu du droit coutumier international. Pourtant, il a été pendant longtemps minimisé et écarté par les responsables politiques et militaires qui n'y voyaient qu'un acte à caractère privé ou le geste ignoble d'un soldat de passage. Pire encore, c'est parce que le viol était extrêmement répandu qu'il a été si longtemps toléré.
La victoire que constituent le jugement et la condamnation d'Akayesu n'a pas été facile. Lors de sa première inculpation, en 1996, les 12 chefs d'accusation retenus contre lui ne mentionnaient pas les violences sexuelles, malgré les preuves de viols massifs commis au cours du génocide en général et dans sa commune en particulier. Les accusations de viol n'ont été ajoutées qu'à la mi-procès, à la suite des pressions concertées d'organisations non gouvernementales et d'un mémoire de l'amicus curiae soumis par la Coalition en mai 1997.
La condamnation d'Akayesu va créer, nous l'espérons, un précédent et amener le tribunal à porter un plus grand nombre d'accusations de viol. Cette affaire a démontré que si on leur offre de bonnes conditions de sécurité, les femmes rwandaises sont prêtes à témoigner de ce qu'elles ont vécu. Mais il reste que les crimes de violence sexuelle perpétrés dans le cadre de conflits armés font trop rarement l'objet d'enquêtes et de poursuites. Sur les 34 dossiers que traite actuellement le Tribunal, un seul comporte des accusations de violence sexuelle.
Le Tribunal pénal international pour le Rwanda et son pendant pour l'ex-Yougoslavie doivent multiplier leurs efforts pour faire du traitement des crimes de violence sexuelle une priorité. Et parmi les mesures nécessaires pour y parvenir, ils doivent garantir aux témoins une protection appropriée, former convenablement leurs enquêteurs et augmenter le nombre de femmes dans les équipes d'enquête. Ce n'est qu'avec de telles mesures que le droit international pourra signifier quelque chose pour les milliers de femmes victimes de violence sexuelle.
La Coalition pour les droits des femmes en situation de conflit regroupe des organismes rwandais et internationaux des droits des femmes et est coordonnée À Droits et Démocratie par Mmes Ariane Brunet et Isabelle Solon-Helal.
Le cadre juridique est de mieux en mieux adapté pour répondre aux besoins des femmes et des filles dans les situations de conflit, en particulier dans les cas de violence sexuelle, comme le montrent les importants travaux des tribunaux pénaux internationaux. Mais il reste beaucoup à faire, surtout pour améliorer la prévention et lutter contre l'impunité.
-- Kofi Annan
28 octobre 2002