

Le Bulletin de la Coalition pour les droits des femmes en situation de conflits est publié occasionellement par Droits et Démocratie.
Cette édition du bulletin est coordonnée par Isabelle Solon Helal et Nazneen Damji.
En mai dernier, un groupe d' ONG défendant les droits de la personne et les droits des femmes ont présenté au Procureur du Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) un mémoire d' amicus curiae visant à faire porter, dans le procès de Jean-Paul Akayesu, des accusations pour viol et autres crimes de violence sexuelle. Constituant un pas décisif en vue d'une imputabilité réelle de même que pour la protection en général des droits des femmes, le mémoire ouvre la porte à des poursuites judiciaires sur la violence à l'égard des femmes. Le mémoire d'amicus curiæ a convaincu le Procureur du TPIR de modifier la mise en accusation qui jusque-là ne considérait aucunement les preuves démontrant que Jean-Paul Akayesu avait commis des crimes de violence sexuelle. L'acte d'accusation modifié inclut maintenant les accusations de viol et de traitement inhumain. Au procès de Jean-Paul Akayesu, reporté au 22 octobre 1997, seront plaidées des accusations de violence sexuelle qui reconnaissent le viol comme un crime de guerre et un crime contre l'humanité, ce qui s'accorde avec l'article 3 du statut du Tribunal international pour le Rwanda, qui considère le viol comme un crime contre l'humanité. Ces modifications sont d'une grande importance parce que les crimes commis contre les femmes en situation de guerre ou de conflit passeront désormais de moins en moins inaperçus. Par contre, le TPIR n'a pas jugé bon de considérer le viol comme une tactique de torture, de terreur et de génocide. Cette omission contredit les progrès que le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie a réalisés en poursuivant le viol en tant que crime de guerre. Les auteurs du mémoire d'amicus curiæ Joanna Birenbaum et Lisa Wyndel, du Working Group on Engendering the Rwanda Tribunal, de Toronto, Rhonda Copelon, du International Women's Human Rights Law Clinic of the City University of New York, et Jennifer Green, du Centre for Constitutional Rights de New York rappellent les témoignages factuels qui ont été présentés au procès ainsi que les preuves homologuées dans les rapports d'enquête sur les droits de la personne, qui portaient sur le caractère généralisé, les buts et les conséquences des viols et autres violences sexuelles pratiqués dans la commune rwandaise de Taba quand Jean-Paul Akayesu en était le maire. Les auteurs demandent au Procureur d'envisager de modifier en conséquence l'acte d'accusation et d'améliorer la qualité des enquêtes de manière que les crimes contre les femmes reçoivent une meilleure attention. Dans une lettre à part adressée au Procureur Louise Arbour et accompagnant leur mémoire, les auteurs demandent la mise en place à Kigali d'une équipe pour enquêter sur la violence sexuelle, la mise en poste sur place d'une spécialiste de haut niveau dans le domaine de la violence contre les femmes, la formation continue du personnel du Tribunal en matière de violence sexo-spécifique et l'avancement des femmes dans toutes les catégories d'emploi au sein du Tribunal. Quelque 60 ONG de partout dans le monde, dont la plupart des organisations de femmes africaines, ont signé le mémoire d'amicus curiæ en signe de soutien.
Droits et Démocratie convoque pour les 4 et 5 septembre prochain la deuxième réunion d'experts non-gouvernementaux consacrée au mandat du Rapporteur spécial sur la violence contre les femmes, ses causes et ses conséquences. Quatre objectifs seront visés : évaluer les acquis des trois premières années, définir la stratégie des trois prochaines années, trouver une façon de standardiser les méthodes de collecte de données sur les violations des droits des femmes et définir les moyens pour faciliter l'échange coordonné d'information entre le Rapporteur spécial, le Centre des Nations Unies pour les droits de l'homme, le Comité pour l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes, la Commission sur le statut de la femme ainsi que les organes de suivi des traités de l'ONU. La première réunion d'experts, tenue en juillet 1994 à Droits et Démocratie à Montréal, visait à orienter le mandat du Rapporteur et à préparer des recommandations sur sa mise en uvre et sur ses mécanismes de fonctionnement. Au début, l'intention était de réaliser une série de consultations auxquelles, avec le temps, participeraient le Rapporteur spécial ainsi que des organisations et des réseaux de femmes de différentes régions du monde. Le Rapporteur spécial joue un rôle décisif sur la question de la violence exercée contre les femmes en situation de conflit. Ses missions sur le terrain, ses communications, ses actions urgentes, ses rapports et ses recommandations : tout cela concourt à trouver une solution susceptible d'assurer la protection des droits fondamentaux et des libertés des femmes. à cet égard, le séjour prochain du Rapporteur spécial au Rwanda et en Haïti, dans le but de recueillir de l'information sur la violence à l'égard des femmes affectées par les conflits, revêtira une grande importance pour les travaux de la Coalition. Le Rapporteur présentera à la Commission des droits de l'homme des Nations Unies ses conclusions sur la situation dans ces pays, en plus de se pencher et de faire rapport sur la responsabilité des États dans la violence perpétrée contre les femmes durant les conflits armés. L'on pourra obtenir copie du compte rendu de cette deuxième réunion d'experts en s'adressant au .
L'Assemblée générale des Nations Unies négocie actuellement un traité visant la création d'une Cour pénale internationale (CCI) permanente. Une telle Cour constituerait un pas historique vers la mise en application des droits de la personne reconnus internationalement. Aucun forum international n'a encore pour but de poursuivre les responsables des violations graves en matière de droits de la personne, à l'exception des tribunaux criminels ad hoc créés pour l'ex-Yougoslavie et le Rwanda. Une Cour indépendante et permanente s'avère donc nécessaire pour mettre fin à l'impunité en général, et aux crimes contre les femmes en particulier. Pour s'assurer que les préoccupations des femmes soient prises en compte dans le statut, les mises en accusation, dans la procédure de la CCI ainsi que dans la formation de son personnel, il faudra déployer les deux stratégies qui se sont révélées si efficaces pour inscrire les droits des femmes à l'ordre du jour de la Conférence sur les droits de la personne, à Vienne en 1993 : l'organisation d'une campagne mondiale et d'un caucus de femmes visant à remettre en question de manière efficace les paradigmes existants en matière de droits de la personne, et la reconnaissance des problèmes liés aux rapports hommes-femmes et à la violence sexuelle en situation de conflit. à la troisième réunion du Comité préparatoire à la création de la Cour pénale internationale, tenue en février dernier, les gouvernements ont négocié la définition ainsi que l'étendue des crimes qui relèveront de la juridiction de la CCI. Le Caucus des femmes a fait pression pour que cette juridiction s'étende aux différentes formes de violation des droits des femmes, tels le génocide, les crimes de guerre et les crimes contre l'humanité. Le lobby a porté fruit puisque le texte préliminaire retenu à la fin de la réunion du Comité référait explicitement aux crimes de nature sexuelle, aux crimes de guerre et aux crimes contre l'humanité. à sa prochaine réunion à l'ONU, les 14 et 15 août prochain, le Comité préparatoire aborde une étape décisive puisque les délégués discuteront des règles régissant la CCI en matière de procédure et de preuve ; de qui a le droit de porter une affaire devant la CCI ; des mécanismes de collaboration entre la CCI et les cours nationales, toutes des questions qui prennent une coloration particulière quand on tient compte des rapports hommes-femmes. Pendant les travaux du Comité préparatoire, le Caucus des femmes devra s'assurer que le traité créant la CCI aborde bien les principales questions concernant l'enquête et les poursuites relatives aux crimes contre les femmes. Le Comité préparatoire se réunira encore deux fois, soit du 1er au 12 décembre 1997 et du 16 mars au 3 avril 1998. L'Assemblée générale des Nations Unies a fixé pour août 1998 la date butoir pour la tenue de la Conférence diplomatique visant à conclure le Traité créant la Cour pénale internationale.
Le Caucus des femmes entend influencer la teneur du Traité créant la CCI de quatre façons :
La Coalition des ONG pour les droits des femmes en situation de conflit a grandi en même temps que l'intérêt suscité par les activités entourant le TPIR. Tant la campagne de Human Rights Watch visant à faire connaître les crimes perpétrés contre les femmes au Rwanda, que la lettre signée par 85 organisations de femmes et demandant au juge Goldstone d'inclure les viols et autres crimes contre les femmes dans les mises en accusation prononcées par le TPIR, ou que le mémoire d'amicus curiæ présenté plus récemment au Procureur du TPIR, ces activités ont toutes suscité un vif intérêt en faveur de la création d'une Coalition souple regroupant des organisations de femmes et des organisations de défense des droits de la personne préoccupées par les questions touchant le statut et les droits des femmes en situation de conflit, ou désirant travailler sur ces questions. Le bureau de la Coalition, actuellement situé à Montréal (Canada), à Droits et Démocratie, accueille avec plaisir et encourage fortement toute personne désirant faire des commentaires ou des suggestions concernant l'avenir de la Coalition. En tant que double instrument d'information et d'action, la Coalition veut prolonger les efforts des individus en leur permettant de partager leurs priorités et leurs stratégies de changement. Ce bulletin constitue le principal véhicule par lequel la Coalition entend demeurer active et bien au fait de tous les événements et toutes les actions. N'hésitez donc pas à nous faire parvenir de courts articles décrivant les conclusions auxquelles vous êtes parvenues, les actions entreprises ou les préoccupations qui vous habitent concernant les droits des femmes en situation de conflit. Il nous fera plaisir de les publier dans ce bulletin. Pour vous joindre aux nombreuses ONG qui sont déjà membres de la Coalition, écrivez ou téléphonez à Droits et Démocratie, dont les coordonnées apparaissent dans ce bulletin. Si le bulletin vous est parvenu directement de Droits et Démocratie, c'est que nous vous considérons déjà comme membre. Si vous ne voulez plus le recevoir, communiquez avec Monique Lamarre ou avec Nazneen Damji. La Coalition ne poursuivra ses activités que si existent l'intérêt et la participation. N'hésitez donc pas à vous en servir pour échanger de l'information et des préoccupations ou pour inviter d'autres membres à poser des actions communes. La Coalition entend faire des efforts particuliers pour rejoindre des ONG dans toutes les régions du monde.
Le cadre juridique est de mieux en mieux adapté pour répondre aux besoins des femmes et des filles dans les situations de conflit, en particulier dans les cas de violence sexuelle, comme le montrent les importants travaux des tribunaux pénaux internationaux. Mais il reste beaucoup à faire, surtout pour améliorer la prévention et lutter contre l'impunité.
-- Kofi Annan
28 octobre 2002