Coalition pour les droits des femmes en situation de conflits

Des femmes accusées de crime de génocide au Rwanda

Par Nicole Hogg,
membre du groupe de travail et préprare une maîtrise en droit à l'Université McGill

On a beaucoup écrit sur les souffrances endurées par les femmes lors du génocide rwandais, et en particulier par les victimes de violences sexuelles. Pourtant, malgré la récente condamnation, en Belgique, de deux religieuses rwandaises reconnues coupables de crime de génocide, il est rare qu'on ait analysé la participation des femmes au génocide , ou leur non-participation, le cas échéant . J'ai donc décidé, dans le cadre de ma maîtrise à l'Université McGill, de me rendre au Rwanda en passant par Arusha pour me documenter et rencontrer des femmes accusées de génocide.

À Arusha, le procès de Pauline Nyiramasuhuko, ex-ministre de la condition féminine et des affaires familiales et seule femme poursuivie devant le Tribunal pénal international pour le Rwanda, s'est ouvert au mois de juin dernier. Il sera très intéressant de suivre ce procès et de voir quel rôle y jouera la question du sexe, en particulier parce que parmi les actes qu'on lui reproche, Nyiramasuhuko aurait incité des hommes, et notamment son propre fils (et coaccusé), à violer des femmes tutsies.

Selon les chiffres officiels, il y a actuellement 3 105 femmes emprisonnées au Rwanda, ce qui représente 3,4% de l'ensemble de la population carcérale . La grande majorité de ces femmes sont accusées de crimes associés au génocide (par opposition à des crimes ordinaires). Certaines se retrouvent dans la première catégorie d'accusés (les grands responsables, les instigateurs et les exécutants les plus notoires du génocide et des massacres); d'autres sont accusées de meurtre (de leurs propres mains ou, plus souvent, à titre de complices, notamment en révélant les endroits où se cachaient les Tutsis), ou encore de pillage et de destruction de biens. Six femmes accusées de génocide ont été condamnées à la peine capitale; l'une d'entre elles a vu sa peine commuée en réclusion à perpétuité et une autre a été exécutée.

Comme leurs homologues masculins, bon nombre des détenues au Rwanda sont emprisonnées sans procès depuis plus de six ans. Un grand nombre de celles qui ont été incarcérées peu après le génocide disent avoir été violemment battues par des survivants du génocide ou des agents des autorités rwandaises. Mais parmi celles que j'ai rencontrées en prison, aucune n'a mentionné avoir subi de tels traitements ces dernières années. Les détenues se plaignent plutôt de la surpopulation carcérale et du taux de maladies qu'elle engendre (problèmes particulièrement aigus, semble-t-il, à la prison centrale de Kigali), de rations alimentaires insuffisantes (un repas par jour en général, composé de pois ou de maïs), de l'absence de visites (les détenues ont droit à trois minutes par semaine, mais bon nombre d'entre elles ne reçoivent aucune visite, la pauvreté empêchant le plus souvent les familles de se rendre jusqu'aux centres de détention), et de la lenteur des procédures judiciaires. La situation de leurs enfants , à l'intérieur ou à l'extérieur de la prison, est aussi un sujet d'inquiétude que partagent bon nombre de détenues.

Le nombre d'accusées de génocide qui avouent leur crime est très faible et la plupart des détenues que j'ai rencontré clament leur innocence . (En fait, le taux d'acquittement pour tous les procès jusqu'ici engagés par les tribunaux rwandais est de 40% chez les femmes, comparativement à un taux général de 20%) . Certaines femmes ayant avoué leur participation au génocide m'ont raconté des choses terribles. L'une a par exemple battu une vieille femme à mort avec l'intention de la tuer (ce genre d'intention criminelle demeure cependant rare); une autre a empoisonné ses propres enfants pour leur éviter de se faire massacrer; une femme (Hutu), séquestrée comme esclave sexuelle par le chef de la milice Interahamwe locale, ainsi que plusieurs autres ont tué, ou ont causé la mort d'autres personnes par crainte pour leur vie ou pour sauver celle d'autres personnes.

Quoique l'on puisse penser des femmes qui ont commis des crimes durant le génocide rwandais, il n'existe malheureusement que très peu de mécanismes au Rwanda qui permettent la réconciliation entre des coupables qui regrettent leurs crimes (hommes et femmes) et leurs victimes ou les familles de celles-ci, lorsque les deux parties sont disposées à le faire. On attend cependant avec impatience, tant chez les femmes détenues que dans la population en général, le début des procès dits "gacaca" (un système de justice traditionnelle où les accusés sont jugés par des personnes respectées de leur communauté plutôt que par un tribunal), au début de l'année prochaine, qui seront peut-être le premier pas vers la vérité et la réconciliation au Rwanda.

Notes

1) À ma connaissance, African Rights est le seul organisme qui se soit penché sur la participation des femmes au génocide rwandais. L'ouvrage qu'il a publié, Rwanda : Not So Innocent : When Women Become Killers, qui a été préparé et rédigé peu de temps après le génocide, offre un tableau très intéressant de la question assorti de témoignages détaillés sur les actes reprochés à certaines femmes présumées coupables.

2) Comme l'ont noté des criminologues féministes occidentales, il est tout aussi important, quand on veut brosser un tableau complet de la criminalité féminine, de comprendre la non-participation des femmes à la perpétration de crimes (et en particulier de crimes violents) que d'analyser le type de crimes qu'elles commettent et les raisons qui les motivent. S'il faut employer de telles analyses avec circonspection en ce qui regarde la participation des femmes au génocide rwandais, j'ai pu établir néanmoins certains parallèles.

3) Selon les chiffres fournis par le ministère de l'Intérieur rwandais, 92 541 personnes étaient détenues dans les prisons rwandaises en avril 2001, parmi lesquelles 3 105 femmes et jeunes filles. En outre, selon l'organisme de défense des droits humains Liprodhor, au moins 100 000 personnes, parmi lesquelles des femmes, demeurent détenues dans les « cachots »(cellules de commissariats de police, locaux gouvernementaux) afin d'alléger la surpopulation des prisons. Aux dires des femmes que j'ai interviewées, les conditions de détention dans les cachots sont pires que celles qui règnent dans les prisons.

4) Si l'on compte Nyiramasuhuko et les deux religieuses jugées en Belgique, 50 femmes, sur un total de près de 3000 personnes, sont poursuivies pour des crimes relevant de la première catégorie au Rwanda (soit 1,7% de ces accusés).

5) Comme les orphelins du génocide, les enfants dont les parents sont emprisonnés ne bénéficient bien souvent d'aucun soutien. Dans chacune des prisons que j'ai visitées jusqu'ici, il y a des enfants qui peuvent rester avec leur mère jusqu'à l'âge de trois ans; après quoi ils sont confiés à des membres de la famille ou à des ONG.

6) Selon les détenues que j'ai rencontrées et qui ont reconnu leur participation au génocide, la principale raison pour laquelle si peu de femmes avouent, c'est qu'elles n'ont jusqu'ici constaté aucun avantage à le faire (accélération des procédures ou réductions de peines). Une autre raison qui explique ce faible taux d'aveux, c'est que dans la plupart des cas, les femmes qui n'ont pas tué de leurs propres mains considèrent qu'elles n'ont pas commis le crime de génocide même si, légalement, les complices de génocide peuvent être traités de la même manière que les personnes qui maniaient la machette. Enfin, certaines femmes disent avoir été dissuadées d'avouer par d'autres détenus qui invoquaient la solidarité entre prisonniers. African Rights a en outre relevé que les femmes ont plus honte que les hommes de reconnaître avoir commis des crimes violents car cela va à l'encontre du comportement qui leur est socialement assigné, et elles craignent le rejet de leurs communautés. Voir African Rights, Confessing to Genocide (juin 2000).

7) Je n'ai pas encore pu déterminer si le taux d'acquittement relativement élevé chez les femmes est dû au fait qu'un plus grand nombre sont innocentes, à la nature de leurs crimes, qui seraient plus difficiles à prouver, à une résistance générale des juges et des témoins à condamner des femmes, ou encore à d'autres raisons. En outre, même une personne officiellement « acquittée » peut se voir ordonner de restituer les biens pillés ou détruits durant le génocide. Il faudrait donc poursuivre les recherches pour déterminer combien de femmes « acquittée » sont, en réalité, reconnues « coupables » de crimes contre la propriété.


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